Elle est dans l’activité il y a de cela près de trois décennies. Tisseuse depuis l’âge de 19 ans, Alizèta Zampaligré née Tarnagda qui touche aujourd’hui la cinquantaine s’est toujours donnée pour principale activité génératrice de revenus le tissage des pagnes traditionnels dénommés Faso Dan Fani. Avec l’officialisation du Faso Dan Fani comme pagne du 8-Mars, jour marquant la célébration de la journée internationale de la femme, Alizèta Zampaligré a vu le nombre de ses clients s’accroitre. Mais, employant plus d’une quinzaine de tisseuses, elle fait face aujourd’hui à d’énormes difficultés. Manque de moyens matériels, d’organisations et de moyens financiers sont le lot de problèmes qui handicapent ses activités, dans un environnement marqué par l’emprise des produits vestimentaires étrangers. Accompagnée du porte-parole des femmes tisseuses Béog-néeré (regroupant une soixantaine de membres), Pascal Tapsoba, les deux nous ont livré des informations restées jusque-là ignorées par nombre de citoyens. Le Faso Dan Fani n’est pas à 100% burkinabè. Plus de 90% de la teinture utilisée provient du Mali ; le fil à tisser burkinabè étant insuffisant, les tisseuses se voient également obligées de s’orienter toujours vers le voisin malien.
C’est dans le quartier Zone 1 de Ouagadougou que Alizèta Zampaligré, accompagnée du porte-parole des femmes tisseuses béog-néeré, Pascal Tapsoba, nous a reçus. Le service de « Maman la tisseuse » est juste un endroit aménagé sous un mini-hangar, à l’entrée même de sa maison chambre-salon. Le dispositif archaïque, à part quelques matériels modernes, ne laisse pas le temps aux visiteurs de deviner les conditions dans lesquelles travaille la dame. Déplorables et difficiles sont-elles !
Puisque c’est de cette activité qu’elle arrive à joindre les deux bouts et à « aider » son mari dans les charges familiales, Alizèta Zampaligré se contente du peu dont elle dispose pour satisfaire sa clientèle tout en espérant que ses cris lancés çà et là depuis belle lurette trouveront échos favorable un jour auprès des autorités.
« La teinture que les tisseuses utilisent n’est pas du Burkina… C’est regrettable ! »
Employant près d’une quinzaine de jeunes filles, la Tisseuse, à défaut d’un local adéquat, est contrainte de laisser libre cours à ses employées travailler chacune chez elle. Un état de fait qui handicap sérieusement le boulot. « Toutes celles qui travaillent avec moi le font à la maison. Nous n’avons pas de centre. Comme les apprenties-tisseuses ne sont pas à mes côtés, j’ai du mal à corriger leurs œuvres. Mais, on fait avec les moyens de bord », déclare-t-elle, avec un sourire de dépit mal dissimulé, tout en invitant ses clients à la compréhension et à la tolérance des retards souvent accusés dans la livraison des commandes. « Avec tous ces problèmes, il n’est pas facile d’être ponctuelle vis-à-vis des clients. Heureusement, ils me comprennent et me restent fidèles », glisse Alizèta Zampaligré.
A l’en croire, en plus de ceux de Ouagadougou, ses principaux clients, en majorité d’un âge avancé, sont de Bitou et de la Côte d’ivoire. Et elle arrive à réaliser un chiffre d’affaires d’environ cinq millions de F CFA (5 000 000 FCFA) l’an. D’où tire-t-elle la matière à tisser ? A cette question, la tisserande fait savoir qu’elle utilisait le fil burkinabè, mais avec l’officialisation du Faso Dan Fani comme pagne du 8-Mars, le fil manque et elle se tourne vers le Mali. En ce qui concerne la teinture, il faut dire que c’est à notre grande surprise que Alizèta Zampaligré laisse entendre qu’elle est toujours provenue du Mali. « Le pagne que nous tissons n’est pas à 100% burkinabè. Beaucoup d’éléments sont maliens », confie-t-elle.
Une déclaration que le Président de Aube du Faso, par ailleurs porte-parole des femmes tisseuses béog-néeré confirme : « C’est exact. La teinture que les tisseuses utilisent n’est pas du Burkina, mais du Mali. C’est regrettable, mais c’est la vérité. Pour avoir la teinture, il faut aller au Mali. Est-ce-que c’est ce que le père de la Révolution, paix à son âme, Thomas Sankara faisait ? Non ! C’était produisons burkinabè et consommons burkinabè. Mais, maintenant on voit que y a de l’étranger ».
De la concurrence déloyale
Si à une certaine époque de l’histoire du Burkina, ce pagne était la fierté du Pays des Hommes intègres et bénéficiait d’une attention particulière des autorités, il fut relégué au second plan au profit des jeans américains, des vestes occidentales et récemment des vêtements made in China. Mais force est de reconnaitre que depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, le gouvernement de la Transition a entamé un processus de revalorisation du Faso Dan Fani. C’est le début de la renaissance de l’oiseau phénix de ses cendres.
En septembre 2015, le gouvernement de la Transition prenait un décret invitant les femmes à privilégier le port du Faso Dan Fani lors de la célébration du 8-Mars. Mais, il s’agit d’une décision datant de la Transition. Avec l’arrivée au pouvoir des dirigeants actuels, on constate que même si le Faso Dan Faso reste le pagne officiel de la célébration de la fête de la Femme, d’autres pagnes en provenance de la Chine sont aussi implicitement autorisés.
On assiste donc à une concurrence déloyale. D’un côté, un pagne moins cher accouché par les machines chinoises et de l’autre un Faso Dan Fani « le vrai », jugé cher et tissé par des femmes de peu de moyens. Malgré cet état de fait, Alizèta Zampaligré ne se décourage pas et reste confiante. « Si l’Etat nous assiste, même avec un peu de moyens matériels et financiers, nous n’aurons pas peur de la concurrence des pagnes importés de la Chine. Nos clients frappent toujours à la porte. Ils n’aiment pas le pagne chinois, car ils estiment qu’il se surchauffe au contact du soleil. Alors que le vrai Faso Dan Fani ne l’est pas », se convainc-t-elle.
Des doléances aux autorités pour la promotion de la culture vestimentaire burkinabè
Par ailleurs, Alizèta Zampaligré demande à l’Etat de doter les tisseuses d’infrastructures adéquates pour le bon fonctionnement de leurs activités. En plus, elle préconise un subventionnement des prix de leurs matériels et des fils à tisser par le gouvernement, afin que le prix du pagne qui varie actuellement entre 7500 à 15000F CFA, selon la qualité, soit revu à la baisse au profit des populations désireuses de le porter. Alizèta Zampaligré estime que si l’Etat organise davantage le secteur, le problème du chômage pourrait être réduit car certaines marchandes ambulantes seront recrutées au compte des tisseuses.
Pour sa part, Pascal Tapsoba, en se basant sur le port du pagne traditionnel par les députés lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre a loué cette initiative du président de l’Assemblée nationale Salif Diallo, tout en donnant la note de « peut mieux faire ». Par ailleurs, il demande au gouvernement d’organiser et d’encadrer celles qui officient dans le tissage des pagnes traditionnels dans de grands centres et de leur doter des fonds de roulement. « Nous demandons qu’on leur crée des centres où elles-mêmes seront des actionnaires. Comme cela, elles s’adonneront mieux pour habiller les populations. C’est cela l’actionnariat populaire comme l’avait préconisé Laurent Bado, pendant la campagne présidentielle. », plaide-il. En ce qui concerne la teinture, le porte-parole des femmes tisseuses béog-néeré estime qu’il est urgent que l’Etat s’approprie du problème pour que le Faso Dan Fani soit réellement burkinabè. « Comment voulez comprendre qu’on veuille promouvoir la culture burkinabè avec une teinture malienne ? Il faut vite résoudre ce problème qui n’honore pas notre culture. Il faut que le Dan Fani soit une marque déposée de la propriété de l’Etat » affirme-t-il.
Il demande également l’institution d’une journée pendant chaque semaine où les fonctionnaires de l’Etat ou du secteur privé, les élèves et étudiants porteront le pagne traditionnel. « Bien sûr que pour cela, il faut vraiment aider les tisseuses pour que le prix du pagne soit réduit dans le but de le rendre accessible à tous », souhaite Pascal Tapsoba qui invite déjà les populations à porter, à l’occasion de du 8-Mars de cette année, le pagne tissé par « nos braves mamans ».
Par Lassané Sawadogo